L’enfer du lol

Le 12 novembre 2012

L'arme ultime pour contrer les dernières trouvailles du "marketing digital" ? L'humour. En particulier, le sarcasme. Experts et chercheurs s'arrachent les cheveux pour analyser (et monnayer) les messages à double sens que nous postons sur les réseaux. Ballot.

“- L’album de Charlotte Gainsbourg est la grâce quintessenciée – Je suis tellement d’accord avec toi !” Ah ils sont nombreux ces moments gênants sur Internet ! Ces discussions qui dérapent malgré nous pour cause de sarcasme trop crédible ou à l’inverse pas assez grossier pour être détecté.

En ligne, personne ne vous entend rire. Ou ne voit la malice scintiller au fond de vos yeux au moment de balancer une vanne pincée. Résultat : Internet est une grosse mare dans laquelle les quiproquos s’enfoncent comme de gros pavés.

Au-delà des petits ajustement relationnels imposés par le sarcasme incompris (“hihi, mais je plaisantais pour Charlotte, mais les goûts, les couleurs ;D”), ce dernier pose des problèmes autrement plus conséquents. Notamment auprès de la communauté des linguistes, experts en informatique et autre spécialistes désireux de déchiffrer tous nos messages laissés sur Facebook et Twitter – pour ne citer que les gros.

C’est la “science étrange de la traduction du sarcasme en ligne” écrit le Wall Street Journal dans un article paru fin octobre.

Par définition, ce genre de plaisanterie dit “le contraire de ce qu’on veut vraiment dire”, poursuit la journaliste. Le sarcasme s’avère donc “être un obstacle pour les chercheurs et les spécialistes en marketing qui créent des programmes informatiques pour analyser les importantes réserves de bavardages en ligne pour mesurer l’opinion publique sur des produits ou des politiciens.”

L’humour en ligne comme pare-feu aux dernières trouvailles du marketing “digital”. Comme antidote à la récolte des données que l’on laisse sur les services a priori gratuits du web. Qui s’en servent en retour comme potentielle machine à cash. Troll ultime : 4chan n’aurait pas fait mieux.

Alors bien sûr, des stratégies existent pour déceler la malice. En particulier les smileys, ou émoticônes, ces petits visages de travers, avec ou sans nez1, si pratiques pour se rendre clairs. Ou désamorcer une situation embarrassante (cf. supra).

Mais le smiley ne suffit pas. Kate Paulin, responsable dans une agence marketing et interrogé par le WSJ, est formelle. “Travailler pour des marques telles que Coca-Cola lui a appris qu’il ne faut pas se fier aux apparences d’un smiley”, détaille le journal. Qui ajoute :

Ados et twittos utilisent des émoticônes de manière sarcastique, à l’en croire. Et un simple point d’exclamation – contrairement à plusieurs – peut en fait traduire un manque d’enthousiasme.

Les ravages de l’humour en ligne sont plus grands encore. Ils se constatent jusque dans les labo de recherche, où l’on s’arrache les cheveux à systématiser la compréhension des double, triple sens des tweets et posts. “Le sarcasme est l’un des problèmes les plus difficiles en informatique”, confie ainsi un professeur d’une université californienne, qui conduit un programme d’analyse des “sentiments” exprimés sur les réseaux sociaux. Ce qui fait dire au Wall Street Journal :

Les programmes informatiques suivent des règles strictes, alors que le langage naturel, en particulier la culture ‘private joke’ du web, non.

Mais les casse-têtes des uns font le bonheur des autres. Ou presque. Pour certains, comme Doug Sak, cette absence de signalétique sarcastique est une mine d’or. Il y a 10 ans, il a créé “SarcMark”, une sorte de spirale avec un point au milieu, qu’il souhaite imposer comme marqueur universel du sarcasme. A en croire le Wall Street Journal, il aurait même contacté plusieurs opérateurs pour imposer son sigle dans les claviers des téléphones.

Contacté par Owni pour en savoir plus, Doug Sak ne nous a toujours pas répondu. Il semblerait néanmoins que le succès se fasse attendre. Mais l’homme d’affaire garde espoir. Et son sens de l’humour : “je ne sauve pas le monde mais cela a un véritable intérêt”. Du sarcasme, évidemment.



Et pour toujours plus de sarcasmes, allez lire les commentaires (en anglais) de l’article original !

Photo par Djniks [CC-byncsa]

  1. le smiley est au centre d’une véritable guerre de clochers, au sujet de la présence nécessaire ou non du nez. Pour ne froisser aucune sensibilité, nos exemples seront déclinés chacun en deux versions représentatives : :-), :), :-D, :D, :3, :-3 … []

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