1,5 milliard d’euros de plomberie

Le 14 septembre 2011

Veolia, Suez, la Saur ne paieraient pas pour la remise en état du réseau français d'eau potable. Le député expert sur le sujet propose de faire payer les collectivités locales et les usagers. Rencontre autour d'une facture de 1,5 milliard.

Le député le plus impliqué dans les affaires d’approvisionnement en eau, André Flajolet (UMP, Pas-de-Calais), voudrait faire payer les usagers et les collectivités locales pour remettre en état le réseau d’eau potable français. Ses défauts d’entretien laissent s’échapper dans la nature près de 22% d’eau. Le chantier est évalué à 1,5 milliard d’euros.

Pour le financer, le parlementaire, rapporteur de la Loi sur l’eau de 2006 et président du Comité national de l’eau, privilégie l’émission de prêts à taux zéro via la Caisse des dépôts et consignation. Avec un remboursement à la charge des collectivités territoriales et des usagers, puisqu’une part de ce coût serait répercutée sur le prix au mètre cube. « 0,2 à 0,7 centime par mètre cube » nous précise André Flajolet. Mais rien à la charge de Veolia, Suez ou de la Saur.

Le 6 juillet dernier, André Flajolet avait marqué les esprits en avançant ce prix de 1,5 milliard d’euros pour la rénovation des tuyaux, lors d’un point presse organisé par le syndicat professionnel Canalisateurs de France. Or, l’entretien et le renouvellement des canalisations, les usagers français l’ont déjà payé, même plusieurs fois.

Entre 3 et 10 milliards d’euros de « négligences »

Jusqu’à la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, les opérateurs incluaient sur la facture une ligne dédiée à ce poste : les « provisions pour renouvellement », des sommes retenues pour être employées à la rénovation des réseaux. Seulement voilà : les sommes auraient elles-mêmes fuité. Comme le révélait une enquête de Jean-Luc Touly et Roger Langlet parue en 2003, 3 à 10 milliards d’euros de ces « provisions » ont ainsi rejoint en Irlande un véhicule financier commun aux deux géants du secteur (Suez, ex Lyonnaise, et Veolia, ex Générale des eaux) où ils ont fructifié à de bons taux.

Une pratique rendue illégale par la loi de 2006, dont André Flajolet était rapporteur. Mais qui est pour bonne partie à l’origine des problèmes de canalisations aujourd’hui pointés par lui. Le député du Pas-de-Calais se défend cependant de vouloir exonérer les deux majors de leurs responsabilités :

Les contrats de délégation qui ont été signés avant 2006 ont donné lieu à des dérives or, à ce moment là, la loi n’avait pas de caractère contraignant. Mais, pour moi, s’il y a deux signatures en bas d’un contrat, les deux parties sont également responsables, en l’occurrence, les entreprises comme les délégataires (collectivités territoriales délégant le service public de l’eau, NdR). Il ne s’agit pas de passer l’éponge !

Sauf que, curieusement, les géants de l’eau courante ont retenu leurs applaudissements à l’idée de ce plan. Directeur général adjoint de Veolia Eau, Marc Reneaume s’est vite défendu du « catastrophisme » des canalisateurs, assurant la qualité des installations. Une position qu’explique sans mal Gabriel Amard, élu de Viry-Châtillon, dont il a fait ramener la fourniture d’eau en régie publique :

S’il y a autant de fuites, c’est parce que les délégataires n’ont pas fait leur travail ! Sur la communauté d’agglomération de Lens-Liévain, le taux de renouvellement déclaré par le délégataire, Veolia, est de 0,14% par an… Il faudra 700 ans pour renouveler le réseau intégralement ! Les tuyaux ont une espérance de vie de 100 ans, la moindre des choses serait de garantir 1% de renouvellement par an.

De la buée sur les compteurs

Soulevé par Canalisateurs de France, cet océan d’eau fuitée est en fait une aubaine économique pour les délégataires : chargés de l’acheminement de l’eau, la plupart sont également propriétaires des centres de « potabilisation » où l’eau profonde (des nappes phréatiques) ou superficielle (des cours d’eau) est filtrée et rendue consommable. Chaque goutte « potabilisée » est dûment facturée au consommateur au moment où elle entre dans le tuyau, qu’elle arrive au robinet… ou pas. Un supplément inodore et incolore car il est directement intégré dans le prix au mètre cube.

L’estimation du syndicat des poseurs de tuyau est quant à elle juste… mais pas très précise. La faute, selon Emmanuel Poilane, directeur de la Fondation France Libertés, aux statistiques très incomplètes fournies par les agglomérations et les opérateurs :

La fourchette des fuites et des investissements nécessaires est bonne… mais nous ne savons pas où il faut remplacer les tuyaux ! L’Observatoire national de l’eau, censé compiler les informations sur les prix, l’état des réseaux, etc. n’est pas rempli par les acteurs du secteur !

Un épisode de plus dans la bataille qui oppose les canalisateurs et les grands opérateurs de l’eau mais qui tombe mal pour ces derniers. Entre 2012 et 2013, de nombreuses délégations de service public arriveront à leur terme, notamment dans de grandes villes de France (Bordeaux, Marseille, Montpellier, Nice). Deux années stratégiques qui pourraient voir des contrats à 8 zéros s’achever à cause d’une simple fuite.

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