Facebook : dire “pouce” face au “like”

Le 16 décembre 2010

Le succès durable du "like" sur Facebook est assez étonnant. Il tend parfois à se substituer à l’abonnement via un flux de syndication web mais il est difficile de connaître par avance les conséquences d'un clic sur ce bouton.

Je m’étonne un peu du succès durable du « like » sur Facebook car à mon sens, cette fonction qui induit souvent un abonnement peut mener rapidement à l’infobésité. D’autant que Facebook n’est que très modérément taillé pour nous permettre de gérer convenablement nos « likes ».

Sur la page d'accueil d'un blog, Facebook est proposé en premier pour le suivi des publications.

Envisageons la question de la façon suivante : il est fréquent que l’internaute se voit aujourd’hui proposer plusieurs solutions pour « garder le contact » avec telle ou telle source (site ou blog hors de Facebook, « ami » ou « fan page » sur Facebook…) et suivre ses publications ou, plus largement, celles de son (ses) auteur(s). Parmi les options disponibles hors de Facebook, parallèlement à la récupération de flux de syndication web (RSS/Atom) ou encore au suivi des publications d’un compte Twitter, et j’en passe, il y a… Facebook. Il arrive même que le lien via Facebook soit la première option proposée et soit davantage proposée que le reste. Cette offre peut prendre la forme d’un bouton bleu porteur du logo de Facebook, ou d’un bouton porteur d’une icône représentant un pouce et de la mention « J’aime », sur lequel il suffit de cliquer. C’est le « like », qu’on trouve dans et hors de Facebook.

Sur Facebook, une "fan page" proposant le bouton "Like" ("J'aime").

Qu’il soit proposé d’emblée ou par le biais d’une « fan page », on constate que le bouton « like » tend parfois à se substituer à l’abonnement via un flux de syndication web tel qu’il existe depuis de nombreuses années, non sans poser quelques problèmes d’adoption. Toutefois, si Facebook peut représenter une solution simple et familière pour de nombreux internautes, elle n’est pas nécessairement la plus pratique au bout du compte. Si l’on n’espère rien de très positif de l’Open Graph, il peut être intéressant de mieux cerner quelques caractéristiques et limites de Facebook en tant qu’agrégateur, et d’en tenir compte dans l’utilisation du « like » vis-à-vis de tout ce qui est sur Internet et disponible hors de Facebook. Ceci peut en outre conduire l’internaute à adopter un ou plusieurs outils complémentaires, notamment un portail personnel.

Du « like » à l’infobésité

Dans son fonctionnement, Facebook a plusieurs points communs avec un portail web personnel tel que Netvibes1 , et plus encore avec cet autre réseau social dédié au microblogging qu’est Twitter : l’une des actions fondamentales avec ces outils est, avant l’échange, l’abonnement, qu’il soit unidirectionnel ou réciproque.

Mais commençons à préciser les choses. Une première caractéristique de Facebook est que les abonnements ne se présentent pas comme tels ; ils prennent souvent la forme d’expressions relevant du champ lexical de l’affectif : « ami » (« friend ») ou « J’aime » (« Like »). Notons par ailleurs que tous les « likes » ne donnent pas lieu à un abonnement, que ce soit par Facebook ou encore par courriel. Il n’est donc pas toujours aisé de savoir quelles seront les conséquences informatiques d’un « like », surtout en période de découverte de Facebook.

Sur Facebook, l'icone bleue et verte incitant à ajouter un nouvel ami.

L’objectif de ce travestissement est probablement d’inciter l’utilisateur à multiplier certaines actions, qui constituent des témoignages d’intérêt voire d’affection (soit un bénéfice complémentaire à l’abonnement proprement dit pour les utilisateurs ; c’est une façon de s’exprimer exigeant un effort minimum), mais aussi autant de traces de ses relations, de ce qu’il apprécie, bref autant de symptômes révélateurs d’un certain profil (soit un bénéfice pour Facebook et ses annonceurs). Le « like » est aussi, évidemment, un outil de fidélisation précieux pour de nombreux éditeurs, or on est plus enclin à indiquer qu’on aime (ce qui ne coûte ni n’engage à rien, en principe) qu’à s’abonner. Au-delà des mots, les icones qui leur sont associées (le pouce pour le « like » et le « +1 » pour le nouvel « ami ») montrent combien elles sont considérées comme positives et souhaitables par le système et ses auteurs. Il y a enfin le fait que ces actions soient visibles — et donc prescrites par les utilisateurs –, ce qui n’est pas le cas de leur action contraire. Bref, ces propositions sont des incitations, et l’ensemble est tout sauf neutre vis-à-vis de l’utilisateur.

Malheureusement, céder à de telles incitations peut vite avoir d’assez pénibles conséquences pour l’utilisateur (indépendamment de la question de la publication d’informations personnelles). Qu’il se montre un peu trop « aimant » sur Facebook et son flux deviendra assez rapidement difficile à gérer, voire ingérable. Tout utilisateur peut constater que multiplier les « likes » et autres demandes à devenir l’« ami » de tel ou tel autre utilisateur actif est vite récompensé, si j’ose dire, par une exposition à cette véritable plaie moderne qu’est l’infobésité. Le « newsfeed », le fil d’information de la page d’accueil personnelle de l’utilisateur, se retrouve sous peu inondé de messages ou de traces d’activités des uns et des autres.

Il ne reste plus alors à l’utilisateur qu’à subir cette marée informationnelle (rechercher plus longuement ce qui est intéressant ; se rendre plus souvent sur Facebook ou accepter de voir plus rapidement disparaître, avant toute lecture, des items qui auraient pourtant pu l’intéresser…) ou à se résoudre à entrer dans une logique de filtrage-dosage, de masquage voire de désabonnement qu’il n’est pas toujours aisé d’assumer. En d’autres termes, Facebook ne facilite pas une bonne gestion de l’information ; il inciterait plutôt à un cumul perpétuel, géré d’une façon qui peut desservir l’utilisateur2 .

Un newsfeed chaotique

À la rigueur, nous pourrions davantage céder au chant des « likes » s’ils ne nous conduisaient inévitablement à éprouver l’une des limites de Facebook aujourd’hui, comparativement à des outils tels que Netvibes ou Twitter : le newsfeed est un fil unique. Les informations qui proviennent de mes  chères sources se retrouvent pêle-mêle dans un seul et même flux.

Il faudrait bien sûr nuancer et parler, entre autres, du « mur » et de certaines applications dont les contenus peuvent être affichés ça et là, hors du newsfeed. Mais rien de comparable avec la souplesse d’un portail tel que Netvibes, sur lequel l’utilisateur dispose de bien plus de latitude pour organiser ses sources en différents widgets, répartis sur différentes colonnes et différentes pages. L’utilisateur peut également adapter la forme des widgets à la nature des contenus (plutôt iconiques ou plutôt textuels, par exemple) ; adapter leurs dimensions à leur importance à ses yeux ou au rythme de publication de la source. Twitter, de son côté, offre la possibilité de créer d’autres fils de sources (selon telle ou telle thème par exemple). Une fonction précieuse ; personnellement, sur Twitter, je me reporte souvent à mes fils thématiques (bien qu’ils soient perfectibles), délaissant le fil principal dont le contenu, du fait que je m’intéresse à divers sujets, passe sans cesse du coq à l’âne… comme sur Facebook.

Les ambiguïtés du « like » et le côté rudimentaire de Facebook en tant qu’outil d’abonnement auraient donc de quoi amener l’utilisateur à changer ses pratiques : à faire le grand ménage dans ses « intérêts » et à éviter, parmi les nouveaux « likes », ceux qui sont susceptibles de se convertir en autant d’« intérêts »3 , là où une alternative existe. Facebook me semble surtout à utiliser pour les échanges avec les relations amicales et la famille, car c’est là et pas ailleurs que je peux retrouver la plupart d’entre eux, où qu’ils se trouvent. Les limites de cette plateforme m’apparaissent à peu près adaptées à un tel usage, pas beaucoup plus. À choisir entre un nouvel « ami » et un nouveau « like » dans Facebook , je sacrifie le dernier sans hésiter.

La veille informationnelle4 proprement dite, elle, serait plutôt à mettre en place sur un portail personnel (Netvibes ou un équivalent), qui peut comporter un widget Facebook parmi bien d’autres choses. Ceci me semblerait contribuer à remettre Facebook à sa vraie place, compte tenu des caractéristiques et limites identifiées ci-dessus — ainsi que des doutes dont il fait notoirement l’objet en matière d’utilisation des données personnelles. L’adoption d’un portail personnel permet de faire de Facebook seulement un flux parmi d’autres, plus qu’un flux qui recevrait tous les autres flux, ce qu’il cherche à devenir mais sans que les utilisateurs y aient forcément intérêt. Ce dernier scénario ne me semble envisageable avec Facebook que dans le cas où les flux ajoutés dans Facebook sont peu nombreux et/ou peu abondants.

Billet initialement publié sur Iconique, un blog de Culture visuelle

>> Illustration CC Loguy pour OWNI

  1. Il existe plusieurs outils semblables à Netvibes, dont peut-être certains lui sont supérieurs ; je le mentionne lui car c’est le portail personnel que j’utilise et connais le mieux. Netvibes n’est pas vraiment une nouveauté, cela existe depuis plus de cinq ans maintenant. []
  2. En début d’année, Techcrunch s’est fait l’écho de divers changements dans la gestion du newsfeed ainsi que d’une enquête de Facebook auprès de ses utilisateurs relative à leur perception de ce flux. []
  3. La liste de vos « intérêts » apparaît en marge gauche sur la page de profil, sous les « amis » []
  4. Le mot « veille »  est ici à prendre dans un sens très général, la veille n’est pas mon métier. []

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