Paroles de conflits: exemple de crowdfunding appliqué au journalisme

Le 15 octobre 2010

Petit à petit, le crowdfunding devient une solution crédible au financement de projets, notamment dans le domaine journalistique. Preuve par l'exemple avec le documentaire de Raphaël Beaugrand : "Paroles de conflits".

C’est quasiment une ligne droite, tout au long du 39ième parallèle, de Srebrenica à Hiroshima, un fil tendu pour recueillir des bribes de récits, raconter ce qu’est l’humain au cÅ“ur des conflits qui agitent encore (et toujours) notre continent eurasien. Raphaël Beaugrand, ex-journaliste pour lepoint.fr, en est le funambule. Perché sur son vélo, il s’est lancé le 3 mars dernier à l’assaut des 16000 kms qui séparent ces deux villes tristement célèbres pour l’atrocité de la guerre qu’elles représentent. Déjà plus de 8 mois en roue libre pour tenter de donner une mémoire au présent.

Actuellement en Chine, il roule en direction la province du Xinjiang où la minorité Ouighoure subit l’oppression du régime de Pékin depuis plusieurs années. En tout, Raphaël traversera 16 pays, dont 8 seront vraiment au cÅ“ur du webdocumentaire final “Paroles de conflits” : Bosnie-Herzégovine, Moldavie, Ukraine, Géorgie, Azerbaïdjan, Chine, Corée du Sud et Japon. Un neuvième récit était prévu en Ouzbékistan mais l’extrême tension sur place l’a finalement poussé à faire l’impasse sur ce sujet. Retour en France prévu pour Noël si tout se passe comme prévu.

Le levier du crowdfunding

Avec 70 à 80 interviews par pays, des moments de vie, des instants suspendus en “no comment” et une semaine passée à vivre au plus près des populations – directement chez l’habitant – à chaque étape, la masse d’images et de témoignages que récolte actuellement Raphaël Beaugrand est impressionnante, déjà plus de 120 heures de rushs et l’aventure n’est pas terminée. Un projet gigantesque qui a besoin de moyens pour exister.

Depuis le début, Raphaël est soutenu par FatCat Films, une jeune maison de production qui, après 5 ans d’existence, se lance dans l’aventure du documentaire avec un conviction totale. La richesse de la matière récoltée sur le terrain pousse Antoine Cayrol, co-fondateur de FatCat Films, imaginer un documentaire transmédias qui pourrait se décliner à la fois sur le web (avec le soutien de mediastroika) mais aussi en version carnet de route pour supports mobiles et une version plus traditionnelle en vue d’une diffusion TV. L’envie est une chose, la réalité des finances en est une autre, d’où l’idée d’Antoine Cayrol d’utiliser le levier du crowdfunding pour aider au financement du projet.

C’est notre premier documentaire et l’on sait, par expérience, que l’on ne nous fais pas confiance comme ça, du premier coup [ndlr : dans les réseaux traditionnels de financement]. Le court-métrage, on en a fait quelques uns, maintenant je sais que l’on peut avoir des aides, des diffuseurs, parce qu’on en a déjà fait trois ou quatre qui ont marché. J’ai quand même fait les démarches pour le docu mais sans succès. Donc on a choisi de lancer la production et le tournage grâce à un peu de trésorerie que l’on avait de côté et je me suis dit :  “ceux qui vont pouvoir me faire confiance sans que l’on ai fait d’autres docus avant, ce sont les internautes”, d’où l’idée de tenter le crowdfunding.

Et cela fonctionne plutôt bien jusqu’ici. Le projet, lancé sur la plateforme KissKissBankBank depuis un peu plus de 90 jours, a déjà récolté près de 11.000 euros grâce à 134 donateurs. Les dons posés par les internautes tournent en moyenne autour de 60 euros jusqu’à un généreux mécène (resté anonyme) qui a fait un don de 1000 euros. En échange de son soutien financier, chaque “KissBanker” sera à minima crédité au générique et recevra en plus des bonus particuliers en fonction du montant soumis (du poster dédicacé au vélo de l’aventure). Mais la démarche des internaute est sans doute plus motivée par le projet en lui-même et le désir de le voir se concrétiser que par ces quelques “récompenses”.

Petites structures et projets d’envergure

La production étant déjà entamée et la première partie de cette aventure, celle du terrain, étant plus proche de sa conclusion que de son lancement, à quoi va servir ce financement ? Ce ne sont pas les postes qui manquent selon Antoine Cayrol :

Ça va déjà servir à construire l’aventure web, vu que le site devrait coûter à peu près 30.000 euros. Ça va servir également à payer tous les traducteurs, vu qu’il en faut un pour chacun des pays. Ça servira bien sûr aussi sur la post-production, principalement pour payer la monteuse qui va travailler sur le projet.

Ce que l’exemple de “Paroles de Conflits” permet de bien comprendre, c’est que ce nouvel outil de financement qu’est le crowdfunding ne signifie pas nécessairement qu’il faille se passer des réseaux habituels de la production, bien au contraire. C’est un très bon outil complémentaire pour permettre à des petites productions de prendre de l’envergure et de se permettre d’imaginer des projets plus ambitieux. Si les 18.000 euros annoncés sur KissKissBankBank pour ce projet sont atteints, ils seront également un retour sur investissement pour FatCat Films.

Le principe (pourtant logique) que la maison de production puisse récupérer une partie des frais engagés par le biais de ce financement pourrait en choquer certains mais c’est une réalité économique. Le crowdfunding permet concrètement à une petite structure comme FatCat Films de développer un projet important sans mettre en péril sa survie, ce qui n’aurait aucun sens. Bien au contraire, en venant soutenir la prise de risque initiale, les internautes offrent à la fois une réalité au projet et également une rentabilité à la structure qui le porte et qui pourrait donc être amenée à en porter d’autre du même type.

L’horizon des 18.000 euros

Tout cela se conjugue pour l’instant au conditionnel. Il reste en effet 16 jours à compter d’aujourd’hui avant la fin de l’opération de crowdfunding sur KissKissBankBank et près de 7000 euros à trouver pour atteindre l’objectif des 18000 euros. Si l’objectif n’est pas atteint au terme du délais, tous les KissBankers récupèrent leur mise et Antoine Cayrol devra repartir en quête de nouvelles pistes de financements.

Pendant ce temps, Raphaël Beaugrand continue de sillonner les routes sur la trace du 39ème parallèle, sur la trace de ces conflits qui ne sont pas si éloignés qu’on le croit et des marques qu’ils impriment dans les êtres. Ça serait dommage que ce projet ne voit pas le jour et que ces voix qui nous racontent restent muettes.

Pour aller plus loin : le projet sur KissKissBankBank, sa page FaceBook et son blog sur webdocu.fr.

http://dai.ly/aeTedV

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