Les lycéens rejoignent la contestation

Le 7 octobre 2010

Elle a couru pour la soucoupe Agnès, en quête de jeunes venus manifester au bled contre la réforme des retraites. Échanges savoureux avec les apprentis-protestataires.

Démarrage en cote, ce matin, chez Le Monolecte : petit marathon matinal impromptu à la recherche d’une manifestation sauvage.

Les habitués le savent : le matin, c’est revue de presse d’Internet, jusque vers 10 heures, juste histoire de s’imprégner dès potron-minet de la fétidité du jour en Sarkoland, an de disgrâce III. J’oscille généralement entre colère et écÅ“urement et selon l’émotion qui l’emporte, j’écris ou je me morfonds. Ces derniers temps, l’ambiance était plutôt à la nausée matinale, sans même l’espoir d’un heureux événement au bout.

Mais ce matin, par la grâce du téléphone arabe qui s’accommode fort bien des technologies de pointe, me voilà dans une bonne grosse vague de joie féroce, empoignant tout mon bardas d’un geste ample et décidé avant de m’engouffrer dans la R25, pied au plancher vers le centre-bled. Je sais, ce n’est pas bien de doubler sur les zébras, mais mon petit doigt m’a dit que les ninjas volants en pyjama bleu viennent eux aussi d’avoir leur routine matinale bousculée par les événements en cours.

Le temps d’arriver et il n’y a déjà plus rien sur la place des bistrots. Je tombe sur la bouchère et lui lance au galop :

  • Vous n’auriez pas vu passer une bande de jeunes qui manifesteraient vaguement ?
  • Oui, mais ça fait déjà bien cinq minutes qu’ils sont repartis vers les arènes.

Voilà donc comment je me retrouve à traverser tout le bled en semi-fond, à la recherche d’une manifestation fantôme que personne n’avait prévu. Le bled est aussi calme que d’habitude. Arrivée en bas, déjà bien moins fraîche qu’en haut, j’avise la poulaillère à roulette qui était donc bien réquisitionnée ici, au lieu d’aligner du pruneau sur les petites routes de Gascogne. Pas un cri, pas un bout de banderoles, je suis une pisteuse déplorable, incapable de débusquer une poignée de gueulards dans un bled moins grand que le Carrefour de Toulouse Portet. Je remonte la rue principale et tombe sur le mini-troupeau des adorateurs du kebab. Toute la semaine, ils sont une demi-douzaine de gaziers à palabrer comme des vieux à bérets sur un bout de banc en béton.

  • Heu, vous n’auriez pas vu des collègues du lycée en train de faire une sorte de manifestation, quelque part ?
  • Ben si, ils sont tombés sur les flics en bas, du coup, ils font le tour par les allées Parisot [NDLR : ben non, ça s'invente pas, on a vraiment des allées Parisot dans le bled, sauf que celui-là, c'était un sacré résistant !]. Ils devraient pas tarder à rejoindre la place du haut.
  • Merci les gars !

La place du haut. Celle où je me suis garée, où je retourne, toujours au galop, et où je déboule, juste à temps pour poser un genou à terre et commencer à mitrailler, enfin, ma manifestation surprise de lycéens.

Ils sont une petite centaine, très contents de leur effet, bardés de pancartes et de banderoles, mais avec un répertoire révolutionnaire des plus indigents :

Sarkozy, si tu savais, ta réforme, ta réforme, Sarkozy, si tu savais, ta réforme où on se la met.

Celle-là, elle date des manifs anti-Devaquet de 1986. Du coup, je me prends un quart de siècle dans les gencives, je me revois en train de draguer mollement celui qui deviendrait le père de ma fille et je me jure de ne plus jamais me payer la tête d’un ancien combattant.

Le cortège s’est enfin garé devant la mairie, tournant en boucle sur le même refrain avec une belle détermination juvénile. J’accroche une petite blonde platine que d’autres m’ont désignée comme faisant partie des leaders.

  • Bonjour, c’est quoi cette manif, j’étais même pas au courant ?
  • En fait, c’était un peu l’idée, c’est une manif surprise.
  • Les lycéens ont décidé spontanément de rejoindre le mouvement contre la réforme des retraites.
  • Oui, mais c’est un peu plus compliqué que ça. En fait, ce sont les syndicats de travailleurs qui ont suggéré officieusement aux syndicats étudiants de lancer quelque chose de leur côté.
  • Ah, bon, ce n’est pas si spontané que ça… Et vous dépendez d’un syndicat?

Elle montre son gros autocollant Fidel collé sur son polaire

  • Ah, ben, oui, forcément.
  • On doit aller avoir le maire, là!

Les lycéens décident de faire un sitting bruyant, mais avec un seul couplet en tête, il faut bien avouer qu’ils rament sévèrement pour maintenir les décibels au taquet. Franchement, il va falloir penser à renouveler un peu le genre, question musique et slogan. Cela dit, c’est toujours mieux que la sono CGT qui crache le très joyeux et inapproprié J’ai la quéquette qui colle, dans les manifs de salariés.
Je me rabats sur un autre groupe de leaders.

  • Bon, en fait, pourquoi vous vous joignez au mouvement sur les retraites?

Elle, elle est brune et plus grande que moi. C’est comme ça. Dès la sixième, ils sont souvent plus grands que moi.

-Parce que cela nous concerne : ils veulent faire travailler les vieux plus longtemps, alors que nous, on a déjà du mal à trouver un boulot.
-Ah, bon ! Donc, en fait, c’est assez égoïste, votre solidarité !
-Oui, mais c’est vrai que c’est pas logique leur réforme, alors qu’on n’arrive pas à s’insérer.
-Bon, on dit pas qu’il ne faut rien faire. On sait que ça ne peut pas continuer comme ça, mais c’est pas la bonne façon.

Celui qui vient d’intervenir a le poil au menton légèrement plus dru que les autres.

  • Tu es au syndicat lycéen, toi aussi ?
  • Moi non, je suis un ancien, je viens de Toulouse pour leur prêter main-forte.
  • Tu es en fac ?
  • Oui, je viens soutenir mes anciens copains.
  • Mais tu es un agent agitateur extérieur, en fait !
  • Oui, on peut dire ça.
  • Mais la manif, là, c’est le bled tout seul dans son coin ?
  • Non, non, c’est pour aujourd’hui, partout en France.
  • Mais comment vous avez fait pour organiser tout ça ?
  • Ben Internet.
  • Oui, Internet… et des SMS.

Là, ça parle geek et tout de suite, il y a un petit groupe qui se forme autour de moi.

  • Expliquez !
  • Dès lundi, ça a tourné sur Facebook et là, ça va très vite. On a monté un groupe…
  • Non, c’était un événement…
  • Oui, un événement qui s’appelle ‘manifestations devant les lycées’…
  • Je vais aller voir
  • Non, ce n’est pas la peine, c’est un groupe privé.
  • Oui, moi, j’ai reçu le message lundi soir et tout de suite après, j’ai balancé plein de SMS partout chez mes copains.
  • Et puis là, on prépara le 12 !
  • Le 12 ?
  • Ben oui, l’acheminement, pour les grandes manifs. Y en a qui iront à Auch et d’autres à Toulouse. On s’organise, quoi !
  • Excellent. Vous pensez quoi, vraiment de cette réforme ?
  • Ben tout le monde sait qu’il faut en faire une, mais pas celle-là.
  • Comment ça, il faut en faire une ?
  • Ben, on le sait.
  • Vous le savez d’où?
  • Tout le monde le sait.
  • Mais tu as des chiffres, des arguments ? On te donne une réponse, comme ça et ça te va ?
  • Oui, mais y a plus d’argent.
  • Où ça, il y a plus d’argent ? Vous savez ce qu’il s’est passé il y a deux ans ?

Bon, là, c’est vrai qu’il y a deux ans, ils avaient peut-être autre chose à penser qu’à la crise de l’immobilier, des banques et de tout le pognon qui s’est évaporé dans les plans de sauvetage et de relance. Je change d’angle.

  • Comment vous expliquez qu’il n’y a plus assez de fric pour les retraites ou l’éducation dans ce qui est un des pays les plus riches du monde ? On n’a jamais été aussi riches.
  • Heu, c’est qu’il faut prendre l’argent du capital !?!
  • Non, je ne parle pas de réponses toutes faites, je parle de bonnes questions, des bonnes questions que vous devez vous poser avant d’accepter des réponses que vous n’avez pas demandé.

Bon, là, je crois que je les embrouille. Mais si j’ai pu les faire douter un peu de la propagande des déficits sociaux, ce ne sera déjà pas mal joué. Je les laisse repartir en cortège vers l’église. Il n’y a jamais personne de ce côté-là, mais ils ont encore de l’enthousiasme et de l’énergie à revendre.
Sur la place de la mairie à présent désertée, une petite vieille me rejoint en râlant :

  • Et voilà, on supprime des postes, on ne les encadre plus et ils font n’importe quoi !
  • Comment ça ?
  • Ben, là, les jeunes, à tout bloquer.
  • Vous savez, là, ils manifestent pour les retraites, les jeunes.
  • Ah bon ?
  • Ben oui. Ils manifestent pour vous, en fait.
  • Ah, c’est bien, je n’avais pas compris.

À la cambrousse, il est d’usage d’amortir au maximum chaque voyage au bled. J’en profite pour finir ma tournée chez ma bouchère.

  • Alors, vous les avez trouvés, vos jeunes ?
  • Je me suis surtout tapé un sacré footing de bon matin, mais c’est bon, c’est dans la boite.
  • Et c’est pour quoi, là ?
  • Contre la réforme des retraites, pour laisser la place aux jeunes.
  • Oui, enfin, bon, c’est bien de râler, mais après, ils ne veulent pas travailler.
  • Comment ça ?
  • On n’arrive pas à trouver des apprentis. Les jeunes, ils ne veulent pas travailler dans la boucherie, les choses comme ça.
  • Faut dire que les filières professionnelles ne sont pas franchement valorisées au lycée.
  • Oui, mais c’est surtout qu’il faut se lever tôt et bosser le samedi et le dimanche. Donc, terminée, la fête avec les copains.
  • D’un autre côté, je comprends.
  • Vous savez, mon prof au lycée, il m’avait dit que je n’arriverais jamais à rien. Ben aujourd’hui, je suis là !
  • C’est vrai ! Et c’est tant mieux pour nous.
  • D’ailleurs, samedi, faut passer : on fera dégustation avec du bourret.
  • C’est demandé si gentiment que je ne vais pas rater ça.


Images CC Flickr Le Monolecte, album photos de la manifestation

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